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L’architecture

La tour en pierre de grès de l'usine de pulpe. Photo en noir et blanc.

L’impression visuelle que donnaient les différentes usines dans son parc industriel représentait aux yeux de Clergue un puissant outil de marketing pour attirer des investisseurs. Chacun des édifices rivalisait avec ce qui se bâtissait de plus spacieux et de plus beau en Amérique du Nord. Malheureusement, la qualité et l’originalité du bâti étaient plus impressionnantes que la quantité des biens qu’on réussissait à y produire.

Au milieu du 19e siècle, l’architecture américaine s’inspirait largement des différents styles en vogue au Moyen-Âge, tantôt roman, tantôt gothique. Églises, édifices publiques, maisons d’enseignement et même les usines; tous les grands projets immobiliers dignes de ce nom rivalisaient entre eux pour copier le style des cathédrales et des châteaux du vieux continent.

Construction d'arches en grès. Scène animée avec grues, pierres et travailleurs.Les bâtiments que Clergue fit construire au Sault n’échappèrent pas à la tendance. Il affectionnait particulièrement le style roman mis à la mode du jour par l’illustre architecte de la Nouvelle-Angleterre, H. H. Richardson. Arches arrondies à répétition, tours, tourelles et portails, chaque édifice portait les caractéristiques du style néo-roman développé par Richardson. Les architectes de Clergue s’en inspirèrent certes, mais sans pour autant les copier. Ce dernier tenait trop à être unique dans tout ce qu’il entreprenait.

Mais quel architecte signé le plan du parc immobilier de Clergue ? La réponse, loin d’être claire, est entourée d’un certain mystère. Dans un premier temps, il ne fait aucun doute que Francis Head ait dessiné plusieurs de ces édifices. Un Irlandais ayant immigré au Canada en 1879, Head avait débuté sa carrière au Manitoba avant de déménager à Rat Portage (aujourd’hui Kenora) où il signa les plans de plusieurs hôtels, écoles et résidences privées. En 1899, on le retrouve à Sault-Ste-Marie, à l’emploi de Clergue à titre d’architecte-en-chef. C’est lui qui dessina l’usine de pâte sulfitée (1899-1901), de même que l’édifice administratif principal et le Algoma Iron Works Block, soit l’atelier d’usinage, communément appelé la Machine Shop.  

Parmi tous les édifices encore debout de nos jours, la tour à pulpe (Pulp Tower), l’édifice administratif principal et l’atelier d’usinage sont sans contredit les plus distinctifs. À cet égard, Head aura laissé sa marque dans le patrimoine architectural du Sault. La signature distinctive de l’ensemble du parc immobilier de Clergue ne peut par contre pas être exclusivement attribuée à Head. De fait, à son arrivée au Sault en 1899, la centrale hydroélectrique et la première usine de pâte à papier étaient déjà construites. Bien que ces deux bâtiments n’existent plus, les documents d’archives indiquent clairement que leur design était d’inspiration néo-romane. Head s’en serait donc tenu à assurer une cohérence de style.

La centrale en pierre de grès et deux autres bâtiments plus petits en avant plan. On aperçoit la rivière St. Mary à la droite de la centrale.

Le nom d’un autre architecte fait surface à la même époque, celui de James Calloway Teague. Avant de traverser la frontière américaine pour s’établir au Canada, Teague avait dessiné le Palais de justice de Manassas, en Virginie; un design sans équivoque d’inspiration romane. Clergue lui confiera la responsabilité de concevoir les plans de l’énorme centrale hydroélectrique située du côté américain de la rivière St. Mary. Le design de la centrale américaine était en parfaite harmonie avec l’ensemble du parc immobilier canadien, d’autant qu’il était le plus imposant de tous les bâtiments dans l’espace visuel de l’empire Clergue. On sait par ailleurs que c’est Teague qui dessinera les plans du manoir Montfermier en 1902. Si l’on s’en tient à la date du début des travaux de construction du canal hydroélectrique en 1898, c’est dire que Teague serait arrivé au Sault avant Head. Cependant, le projet américain a été mis en chantier trois ans après le début de la construction de la première centrale – celle du côté canadien dont le design a toujours été reconnu comme établissant le style roman privilégié par Clergue. Quel que soit le nom de celui qui a conçu cette première centrale, à lui revient les honneurs d’avoir dessiné le plus important point de repère de l’architecture du Sault.

Compte tenu de la séquence de construction des différents bâtiments, il est improbable que Head ait suivi un plan directeur conçu par un autre architecte. Pourtant, le concept de «château-fort» de l’atelier d’usinage et de la tour à pulpe semble avoir été inspiré du style d’un autre architecte.

L’édifice administratif, construit en 1900 et rénové dans les années 1980, a conservé toutes ses caractéristiques d’antan. La structure est faite de poutres d’acier Carnegie revêtues du grès rouge typique de la région. L’aménagement intérieur avec ses chambres coffre-fort, ses murs en chêne, ses magnifiques plafonds hauts et ses vitraux, tout porte la signature d’un siège social très cossu.

Dans la grande pièce qui occupait autrefois le bureau privé de Francis Clergue, on retrouve encore aujourd’hui sur l’un des murs une immense fresque, créée en 1901, qui illustre l’étendue de l’empire de son propriétaire, avec ses lignes de chemin de fer, sa voie navigable, l’emplacement de ses différentes usines et opérations commerciales, et en premier plan, l’immense territoire du nord de l’Ontario dont Clergue rêvait tellement exploiter les matières premières afin d’alimenter ses usines à Sault Ste. Marie.

Dessin d'architecte de l'atelier d'usinage datant de 1895.

Dessin illustrant le projet initial de la tour à pâte à papier avec une carriole et des marcheurs déambulant en face de la tour.