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La traite des fourrures

Portrait de Belle Lougheed portant un chapeau et un manteau d’hiver avec col de fourrure.

Portrait de Lady Belle Lougheed, Calgary, Alberta, vers les années 1910. Archives du Glenbow NA‑4441‑1.

La naissance d’Isabella Clark Hardisty, surnommée Belle, ne semble pas avoir été consignée officiellement. Selon certaines sources, elle serait née en 1859, tandis que selon d’autres sources, elle serait née en 1860 ou en 1861, voire en 1864. Les événements importants étaient inscrits à la main dans la Bible de la famille Lougheed, mais dans ce cas-ci, la confusion ne fait que s’accroître, car les corrections manuelles qui ont été apportées à son année de naissance sont illisibles. Même sa pierre tombale au cimetière Union de Calgary est erronée. À l’origine, l’année 1880 figurait comme année de naissance, puis elle a été rectifiée à 1860. Belle est probablement née en 1861, alors que William Lucas était posté à Fort Resolution pour le compte de la Compagnie de la Baie d’Hudson.

Vue aérienne de Fort Resolution avec texte manuscrit indiquant le lieu de naissance de Belle Hardisty.

Fort Resolution, Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.), sans date. Archives du Glenbow NA-3232-2.

 

Photo de Mary Ann Allen, la mère de Belle Lougheed.

Mary Ann (Allen Hardisty) Thomas, vers les années 1880. Photographie de Notman & Sandham, Montréal. Collection de la société de conservation de la maison Lougheed.

La mère de Belle, Mary Anne, est née vers l’an 1840 à Fort Vancouver. Son père, Robert Allen, était un commerçant de fourrures britannique qui travaillait pour la Compagnie de la Baie d’Hudson. Sa mère s’appelait Charlotte Scarborough. La mère de celle-ci était Chinook, et son père, Britannique. Robert avait parcouru le district du Columbia, qui se trouve maintenant dans les États de l’Oregon et de Washington, à bord de l’Isabella. En 1830, il a survécu à son naufrage et s’est établi dans le Columbia, mais vers 1845, Robert et Charlotte n’étaient plus de ce monde. D’une manière ou d’une autre, Mary Anne est parvenue à Fort Dunvegan, une localité de rivière de la Paix, dans le nord actuel de l’Alberta, où elle a été baptisée en 1846. À l’adolescence, elle s’est déplacée encore plus au nord et en 1857, elle a épousé William Lucas Hardisty, commerçant de fourrures métis, à Fort Yukon.[1] William Lucas voulait en savoir plus sur la famille de Mary Anne et c’est pour cela qu’en 1858, il a écrit une lettre à son frère Joseph, à Fort Vancouver.

« Pourrais-tu me procurer des renseignements sur la parenté de mon épouse. Elle est la fille de feu M. Allen, ancien officier de pont du bateau à vapeur de la Compagnie, dans le Pacifique. Son père et sa mère sont décédés alors qu’elle était très jeune, mais elle se souvient d’avoir eu des frères et des sœurs, qui habiteraient dans l’État de l’Oregon, à ce qu’elle sache. Si tu trouves de l’information à cet égard, je t’en serais fort reconnaissant. Le capitaine Scarborough était le tuteur de mon épouse quand elle était toute jeune, mais je crois que M. A.C. Anderson C.J., à la retraite et établi en Oregon, était le fiduciaire des enfants de feu M. Allen de même que l’exécuteur testamentaire. » [traduction libre][2]

Le capitaine Scarborough, ancien tuteur de Mary Anne, était à bord de l’Isabella en même temps que Robert Allen.

Photo de Richard Hardisty, père et de Marguerite Sutherland.

Richard Hardisty, père et Marguerite Sutherland, vers 1850-1860. Archives du Manitoba N32579.

Belle est née d’une famille dont les liens avec la Compagnie de la Baie d’Hudson remontent à loin. Son grand-père, Richard Hardisty, père, était venu de l’Angleterre en bateau, à destination de la Terre de Rupert, comme apprenti commis de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Il a gravi les échelons pour finir comme traiteur en chef, ce qui a facilité l’intégration de ses fils au sein de la Compagnie. En 1818, il a épousé Marguerite Sutherland, la fille d’une Crie, Ann Noble, et d’un commerçant écossais de la Compagnie de la Baie d’Hudson, John Sutherland.[3] Richard, père et Marguerite ont eu dix enfants : Hannah, William Lucas né en 1822, Isabella Sophia, Joseph, Richard Charles, Mary, George, Henry, Thomas et Charlotte.

Photo de Richard Hardisty, l’oncle de Belle

Richard Hardisty, facteur en chef, Compagnie de la Baie d’Hudson, vers 1880. Photographie de W.C. Adams, Owen Sound, Ontario. Archives du Glenbow NA-1030-17.

Photo d’Eliza McDougall, épouse de Richard Hardisty

Mme Richard Hardisty, vers les années 1880. Photographie de W.C. Adams, Owen Sound, Ontario. Archives du Glenbow NA-1010-28.

Le père de Belle, William Lucas Hardisty, qui a travaillé pour la Compagnie de la Baie d’Hudson pendant près de quarante ans, a également gravi les échelons pour devenir facteur en chef du district du Mackenzie. Son oncle, Richard Charles Hardisty, qui avait épousé Eliza McDougall de la mission Morley, près de Calgary, avait également été promu au titre de facteur en chef de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Il a été nommé sénateur en 1888, ce qui a fait de lui la première personne d’origine autochtone à faire partie du gouvernement du Canada. Plusieurs de ses oncles de la famille Hardisty ont travaillé pour la Compagnie de la Baie d’Hudson, certains aussi loin qu’à Hawaï. En 1854, la tante de Belle, Isabella Sophia Hardisty, a épousé Donald Alexander Smith, facteur en chef de la Compagnie de la Baie d’Hudson dans le district du Labrador, qui a fini par devenir le 1er baron Strathcona et Mount Royal, l’honorable Lord Strathcona. Au moment de la naissance de Belle, la famille Hardisty jouissait déjà d’une réputation de famille puissante et hautement respectée par la société.

Dans le Nord, Belle était entourée de la culture métisse, mais elle a tout de même subi la forte influence eurocentriste de son père. William Lucas était tout à fait conscient de son désir d’« acculturer ses enfants aux normes euro-nord-américaines ». [traduction libre][4] Même s’il parlait couramment le youcon et le chipewyan, en public, il s’est distancé de son indigénéité parce qu’il avait « internalisé les valeurs et possédait les compétences recherchées chez les directeurs de la Compagnie de la Baie d’Hudson ». [traduction libre][5]

Photo du père de Belle, William Hardisty, en 1868

William Hardisty, 1868. Archives du Manitoba N5729.

En raison de ses fonctions, William Lucas devait travailler loin de chez lui pendant des saisons complètes. La responsabilité des enfants incombait donc principalement à Mary Anne. Par le biais du travail et de la tradition, elle leur a transmis des enseignements métis. Les femmes autochtones possédaient des connaissances particulières pour survivre dans le milieu de la traite des fourrures. Notamment, elles étaient capables d’interpréter les langues, de préparer les pelleteries, de transporter les fourrures, de confectionner des vêtements, de lacer des raquettes à neige et d’attraper du petit gibier. Puisque les enfants devaient prêter main-forte au poste de traite, ces compétences leur étaient transmises par la mère dès leur jeune âge. Mary Anne conduisait un attelage de chiens et posait des collets à lièvres. Lors d’une pénurie alimentaire, William Lucas a envoyé la famille à Behchoko, aussi appelé Fort Rae, un village à l’extrémité nord-ouest du Grand lac des Esclaves, où elle a survécu grâce à du poisson et à cinquante livres de farine pendant sept mois. Belle a déjà raconté les « privations » qu’elle a endurées à ce moment-là, mais malgré ces embûches, Belle et les membres de sa famille se sont épanouis dans le Nord.

 

Olivia Marie Golosky et Lawrence Gervais discutent de l’identité des Métis et du rôle des femmes autochtones dans le commerce de la fourrure,  avec transcription

[1] Doris Jeanne Mackinnon, Métis Pioneers, presses de l’Université de l’Alberta, 2018, p. 49

[2] Lettre de William Hardisty à Joseph, de Fort Youcon, district du fleuve McKenzie, le 20 avril 1858, archives du Manitoba, fonds Joseph Woodsworth Hardisty, 13066

[3] Lorsque l’ascendance d’une personne est mélangée, cela ne signifie pas nécessairement qu’elle est métisse. Par exemple, vers 1800, de nombreux Cris avaient une ascendance génétique mélangée, mais ils étaient considérés comme Cris en vertu de leur expérience culturelle et de leur environnement. Ainsi, l’identité métisse dépend beaucoup de l’expérience culturelle d’une personne et non pas seulement de son bagage génétique. L’ascendance mélangée des Premières Nations et des Européens ne correspond pas nécessairement au fait d’être Métis.

[4] Doris Jeanne Mackinnon, Métis Pioneers, presses de l’Université de l’Alberta, 2018, p. 30

[5] Philip Goldring, « Prairie Forum, Governor Simpson’s Officers: Elite Recruitment in a British Overseas Enterprise, 1834-1870 », Journal of the Canadian Plains Research Centre, automne 1985, vol. 10, no 2, p. 273