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Journal personnel d’un prisonnier de guerre canadien

Photo granuleuse en noir et blanc d’un aviateur canadien en uniforme qui sourit pour l’appareil photo.

Navigateur de l’ARC, John Colwell, vers 1943.

John Colwell

La vie de la plupart d’entre nous est très éloignée de la réalité quotidienne d’un soldat, et bien peu d’entre nous pouvons comprendre ce que signifie la captivité d’un soldat dans un pays ennemi. John Colwell, alors qu’il était prisonnier de guerre durant la Seconde Guerre mondiale, a tenu un journal personnel qui lève le voile sur la vie quotidienne d’un soldat captif en Allemagne.

Originaire de l’Inde, Colwell arrive au Canada avec ses parents à l’âge de 16 ans. La famille s’installe sur une ferme à Extension, en Colombie-Britannique, au sud de Nanaimo. En 1940, Colwell s’enrôle dans l’Aviation royale canadienne (ARC) en tant que navigateur. Trois ans plus tard, en avril 1943, son avion est abattu au-dessus de la Hollande lors d’un bombardement.

Capture et captivité en Allemagne

Cet avril fatidique, Colwell est vite capturé par les Allemands. Détenu dans un camp de prisonniers de guerre, le Stalag Luft III à Sagan, en Allemagne (aujourd’hui en Pologne), il consigne dans son journal divers faits de sa vie de prisonnier derrière les lignes ennemies. Son journal, rédigé dans un livret fourni par le YMCA, a été préservé et donne un aperçu de la façon dont il a passé le temps durant sa captivité.

Page d’un journal personnel avec le dessin d’un horloge, entouré de divers aspects techniques de sa création.

Une page du journal de John Colwell, consigné dans un carnet fourni par le YMCA.  (encre sur papier, 15,2 x 20,3 cm, 12 avril 1944.)

Colwell, le « Grand tôlier » du camp

Colwell pouvait manifestement fabriquer n’importe quoi à partir des matériaux qu’il avait sous la main et il était donc connu comme le « grand tôlier » du camp de prisonniers. Le métal le plus facile à trouver était le fer blanc provenant des boîtes de lait en poudre Klim contenues dans les colis de la Croix-Rouge.

Colwell s’est servi de ces boîtes de Klim (c’est le mot milk = lait, épelé à l’envers) pour fabriquer un réchaud, des cafetières, des tasses, des bouilloires et d’autres articles utilitaires. Il a même réussi à fabriquer une jambe artificielle fonctionnelle pour un autre prisonnier de guerre et au moins trois horloges fonctionnant normalement, mais aucune n’a pu être conservée à la fin de la guerre.

Néanmoins, les esquisses et les plans, ainsi que des récits au sujet de ces horloges et de ses autres inventions ont survécu. Les entrées de journal de Colwell indiquent qu’il a commencé à assembler une horloge le 1er décembre 1943 et qu’elle fonctionnait déjà le 3 janvier 1944. Le 11 avril 1944, il inscrivait une de ses horloges à une exposition d’art et d’artisanat tenue au camp. Ces horloges comprenaient des roues dentées et des poids remplis de sable afin de pouvoir les ajuster pour garder l’heure precise.

Une tentative d’évasion

Des prisonniers du camp Stalag Luft III à Sagan, en Allemagne, préparaient une tentative d’évasion. En fait, cette tentative tristement célèbre a été plus tard immortalisée dans un film d’Hollywood appelé La grande évasion.

Cette audacieuse tentative d’évasion du camp de prisonniers de guerre était dirigée par le capitaine d’aviation Clark Wallace « Wally » Floody, originaire de Chatham, en Ontario. Son expérience dans l’industrie minière à Kirkland Lake, en Ontario, l’avait préparé à cette tâche.

L’opération complexe et bien planifiée consistait à creuser trois tunnels (nommés « Tom », « Dick » et « Harry »), et à accumuler une assez grande quantité de matériel et d’équipement du camp. Durant cette opération, Colwell était un « pingouin », c’est-à-dire qu’il cachait dans ses vêtements le sable extrait des tunnels, pour ensuite le disperser discrètement un peu partout dans le camp.

Les entrées dans le journal de Colwell sont extrêmement brèves pendant cette période. Il s’est contenté de noter les objets qu’il a fabriqués durant la tentative, ainsi que les évènements tragiques qui ont suivi l’évasion. La tentative fut découverte par les Allemands le 25 mars 1944. Le 5 avril 1944, quarante sept prisonniers furent exécutés pour avoir tenté de s’échapper. Colwell a indiqué que, durant cette période, il a fabriqué un moule à pâtisserie, des pantoufles, une marmite et un pilon à pommes de terre, ensuite échangés contre des cigarettes. Rien d’autre n’a été noté dans son journal.

Après la guerre, Colwell et son épouse, nommée Fern, ont repris la ferme familiale spécialisée dans l’élevage des volailles et située près de Lantzville, sur l’île de Vancouver. En août 2002, il a fait don de son journal au Musée de la force aérienne de Comox.

Le matériel historique autre que les journaux personnels

Les entrées dans le journal de Colwell ne sont pas les seuls documents qui lèvent le voile sur la vie quotidienne et les sentiments des prisonniers de guerre. D’autres prisonniers ont réalisé des dessins, des illustrations ou des caricatures de la vie dans un camp.

Ainsi, un prisonnier a réalisé un groupe de sculptures sur bois montrant des gardes et des prisonniers dans des positions burlesques. Un de ces exemples représente un prisonnier qui tente, en pleine course, de remonter son pantalon.

L’humour jouait un rôle important pour stimuler le moral en temps de guerre. Les prisonniers allemands se livraient à l’artisanat non seulement pour passer le temps, mais aussi pour exprimer comment ils interprétaient leur situation, comment ils y réagissaient et même comment ils pouvaient en rire.

Sculpture sur bois, de style rustique, d’un soldat en pleine course. Il a un uniforme vert, des bottes noires et sa chemise n’est pas rentrée dans son pantalon.

Sculpture exécutée par un prisonnier de guerre. (bois, peinture, 36,7 x 22,7 x 4,4 cm, Seconde Guerre mondiale.)

Des moments pénibles pour les soldats canadiens

Les soldats canadiens capturés par l’armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale vivaient dans des conditions beaucoup plus difficiles que les soldats allemands capturés par les forces canadiennes. Alors que l’Allemagne commençait à ressentir le fardeau d’une guerre livrée sur plusieurs fronts, les approvisionnements devenaient progressivement plus rares. Les ressources dont le pays disposait pour nourrir, héberger, assurer la surveillance des prisonniers et, à plus forte raison, pour les divertir, étaient de plus en plus limitées.

Dans de nombreux cas, à la fin de la guerre, les prisonniers canadiens ont dû marcher, sans nourriture ni vêtements adéquats, depuis leur camp de prisonniers situé en Allemagne de l’Est jusqu’à l’Allemagne de l’Ouest. Leurs conditions de vie étant si difficiles, très peu d’objets fabriqués par les prisonniers de guerre canadiens ont ainsi été préservés. Tout ce qu’ils possédaient devait être transporté, dans leurs déplacements à pied depuis les camps de prisonniers. De nombreux objets ont été perdus dans la confusion lors du départ de l’Allemagne à la fin de la guerre.

L’artisanat des soldats canadiens : survivre dans un camp de prisonniers

La plupart des objets faits par les Canadiens étaient des articles utilitaires pour leur survie dans un camp. La preuve que ces objets ont existé est qu’ils étaient souvent dessinés dans des journaux personnels servant à consigner des éléments du vécu quotidien durant leur captivité.

Par exemple, des vêtements étaient confectionnés pour remplacer des articles totalement usés après des années d’internement dans un camp. Si ces objets d’artisanat créés par des prisonniers de guerre canadiens existent encore de nos jours, c’est uniquement car ceux-ci les portaient lors de leur rapatriement au Canada.

Chandail de tricot torsadé en laine de couleurs terreuses, surtout du vert mousse.

Chandail tricoté par Robert Kelly, soldat australien et prisonnier de la Première Guerre mondiale. (laine, 67,0 x 40,0 cm, Première Guerre mondiale)

L’existence des prisonniers de guerre de toutes les armées opposées était très restreinte et isolée, de telle sorte qu’ils avaient accès à relativement peu de matériaux. Les objets qu’ils ont fabriqués en disent long sur les conditions dans lesquelles ils étaient forcés de vivre. Étant donné que les soldats canadiens retenus en Allemagne vivaient dans des conditions beaucoup plus difficiles que celles des soldats allemands internés au Canada, les objets qu’ils ont fabriqués étaient rares et uniquement créés pour leurs besoins personnels. La situation de chaque prisonnier était unique et les objets fabriqués à la main reflètent clairement ces différences.

Photo en couleurs d’une ceinture tressée en coton, avec pointe en cuir et boucle en métal. Les bordures sont dans des tons terreux, alors que le centre est couvert d’une bande vert citron.

A woven belt made by Lieutenant Bryce Douglas while a Prisoner of War during the Second World War. Cotton, leather and metal, 93.6 x 4.1 cm.

Bien que les expériences de Colwell et sa tentative d’évasion montrent bien toute l’ingéniosité et la ténacité des soldats des forces alliées, la vie dans les camps donnait rarement lieu à de grandes actions héroïques. Son journal personnel nous livre un aperçu intéressant de la façon dont la vie quotidienne dans les camps de prisonniers était en grande partie faite de monotonie et de banalités, mais dominée par la simple volonté de survivre.

En 2002, Colwell a fait don de son journal au Musée de la force aérienne de Comox.

Si vous souhaitez voir d’autres exemples d’art des tranchées et d’autres objets d’artisanat canadiens liés à la guerre, cliquez ici.