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Familles endeuillées

Photo représentant une femme endeuillée, arborant des médailles et tenant un sac-à-main; elle est entourée d’enfants et d’une autre femme endeuillée.

Mère endeuillée avec médaille IOAMS
Environ 1918, Archives de la ville de Toronto, fond 1244.

Pendant que les Londoniens soutenaient l’effort de guerre, les listes des morts mises à jour quotidiennement ramenaient la réalité de la guerre près du foyer. Les pratiques sophistiquées qui régulaient le deuil dans la société victorienne, en vigueur aussi à London, ON, devinrent  insuffisantes et inappropriées face aux massacres de la guerre.

Un éventail noir en forme circulaire.

Éventail de deuil victorien
Environ 1910. FPV. Photo prise par Thomas Van Dewark, 2017.

Les coutumes liées à la mort et au mourir changèrent : on passa de l’extériorisation du chagrin à la manifestation privée du deuil. Les femmes commencèrent à abandonner les robes de veuve et les voilettes en crêpe noir, et à renoncer aux mois d’isolement : la manifestation du deuil fut intériorisée afin de ne pas baisser le moral et détruire la paix d’autrui. On découragea le port du costume de deuil de peur qu’il ne démoralisât pas les recrues. Après le torpillage du Lusitania en mai 1915, un article publié dans Le Globe par le Conseil national des femmes du Canada suggéra aux femmes de « porter un brassard pourpre royale pour indiquer que le soldat qu’elles pleuraient était mort courageusement pour son Roi et pour son Pays ».

3 petites épingles, avers, en métal émaillé et une épingle plus grosse, revers, avec inscriptions. 2 des épingles plus petites montrent l’année 1914.

Épingles, International Order of Daughters of the Empire
1914-1916. Collection du Cap. Micheal O’Leary, London, ON. Ces épingles furent décernées à Katherine Becher, mère du Lcol Becher et du Maj Becher.

Des associations comme le Mothers’ Recognition Committee, fondée à London, encouragèrent l’idée que les mères étaient en train de sacrifier leurs fils pour l’Empire. Femmes bien connues dans la ville ont perdu leurs fils, comme par exemple Katherine M. Becher, la veuve d’un ancien maire de la ville, Henry Becher (il servit en 1885). Entre 1915 et 1916, Katherine fut endeuillée après la perte de son aîné, Henry Campbell (tué en 1915, pendant la seconde bataille d’Ypres), ainsi que de son troisième enfant, Archibald Valency (qui succomba à la pneumonie en 1916, en route pour outre-mer). Les deux fils de Katherine étaient bien connus des Londoniens : Henry, admiré pour son leadership, était à la tête du 7e Régiment des Fusiliers et Archibald, un docteur fameux, était un ancien combattant dans la Guerre de l’Afrique du Sud. En 1916, le chapitre local du Imperial Order of Daughters of the Empire fut d’ailleurs nommé après le premier fils de Katherine « Lt.Col. Campbell Becher IODE ».

Une plaque rectengulaire en laiton, avec des armoiries et l'inscription

Plaque commémorative provenant d’une maison privée
Environ 1910. CLLS, photo prise par Jessica Di Laurenzio, 2017.

Mais le débat autour du deuil en temps de guerre ne modifia que marginalement les habitudes des familles. Malgré les efforts faits pour changer les pratiques entourant le deuil, plusieurs femmes continuèrent d’exprimer leur chagrin de façon traditionnelle. Les familles construisirent des mémoriaux individuels et des plaques commémoratives à la mémoire de leurs proches indépendamment de l’effet sur la morale publique.

Dans cette période, les manifestations individuelles de deuil étaient rendues difficiles par la distance entre les champs de bataille et le front intérieur. La transmission d’informations précises concernant la mort d’un soldat à sa famille n’était pas toujours aisée, comme en témoigne par exemple la mort du soldat Hamilton. Ses camarades d’armes écrivirent des lettres de condoléances à la famille en mai 1915; cependant, la mort de Hamilton ne fut pas notifiée à ses parents proches avant juillet 1917, ce qui plongea la famille dans un état d’incertitude et les força à différer leur deuil.

Le spiritisme – la croyance que les vivants peuvent communiquer avec les esprits des morts – devint une extension du chagrin individuel pour les personnes endeuillées. Le succès croissant de ces pratiques et croyances s’explique par le grand nombre de décès survenus pendant la guerre, auquel il faut ajouter le recul déjà en cours des coutumes religieuses traditionnelles. Ceux qui avaient perdu des êtres chers outre-mer n’avaient bien souvent aucun corps à enterrer ; par contre, une telle perte leur laissait beaucoup de questions concernant les circonstances du sacrifice. Mais, les médiums, qu’on en trouvait dans toutes les classes sociales et au sein de plusieurs confessions religieuses, pouvaient aider les familles endeuillées à contacter leurs proches décédés au cours des séances spéciales. Leur but était de connaître les détails de la mort et de se rassurés à-propos du sort de la personne décédée dans l’au-delà.